mercredi 11 février 2009

Ce besoin de hiérarchie....

Cela devient lassant, et ce n’est pas près d’être fini : les classements de la blogosphère. Le dernier en date visant à établir le classement des 10 personnalités du web québécois a donné lieu au remplissage d’une case télévisuelle vide sur Radio Canada. Je comprends fort bien cette pente naturelle qui fait que toutes les parties prenantes au grand bruit médiatique (télévision, spectateurs, blogueurs, lecteurs de blogues) se fédèrent autour de ce genre de rites d’autocongratulation. Mais ce n’est pas parce que je la comprends que je vais la fermer. Voici ce que j’ai observé dans ce dernier avatar de la chose :

- l’idée vient d’un classement de Forbes sur les personnalités du web américain. Forbes ! Quel beau modèle, n’est-ce pas ? On va se précipiter pour faire à notre tour nos petits Forbes, exalter ces puissants qui nous méprisent, lécher le talon qui nous écrase, reproduire à tous les niveaux cette infecte logique de la hiérarchie de la fortune. Rien que d’y penser, cela me dégoûte. Un bonhomme sensé, Etienne de La Boétie, a écrit un traité sur la « Servitude volontaire », eh bien, on est en plein dedans. La résistance commencerait par le refus de ces logiques oligarchiques, l’abandon des systèmes de thésaurisations au profit de l’échange et de la circulation, la haine de la hiérarchie.

- le succès n’est pas une valeur. Pour un blogue à succès, pour un auteur à succès, pour une chanson à succès, combien de productions meilleures, mûries dans l’obscurité ! Le succès peut au mieux les faire connaître largement, au pire les dénaturer. Je me méfie de tout ce qui est populaire, car la popularité se gagne sur la compromission. Mes deux blogues préférés ne sont presque pas lus, entre 2 et 10 lecteurs réguliers probablement. Je sais que tant qu’ils resteront cachés, ils autoriseront une authenticité maximale, une singularité totale.

- la récompense pourrit la création. Je le vérifie incessamment. On ne travaille plus uniquement pour l’objet de la création, on façonne un objet qui puisse plaire. Le cinéma, croyez-moi, serait meilleur sans les Oscars et sans les recettes publicitaires, les romans sans le Goncourt.

- j’ai lu plusieurs sites de blogueurs dits « influents » sur la question. Certains d’entre eux, comme Martine Pagé, manifestent d’abord une gêne à participer à ce genre de hiérarchisation, pour mieux s’y livrer par la suite. C’est honteux, c’est lâche. On est dedans, ou on est dehors, suffit les faux-semblants. Surtout que, comme elle le reconnaît elle-même, une telle soumission à la logique dominante dans le monde économico-médiatique va à l’encontre des valeurs supposée des nouvelles technologies, censées privilégier les rapports horizontaux aux rapports verticaux. La télévision, elle, à la botte des Forbes, ne sonde jamais, elle écume. Je suis convaincue depuis longtemps que rien ne se produira par la télévision. J’ai ensuite espéré dans le web, mais quand je vois des prétendus pionniers, gourous, influenceurs du web faire cou-couche avec les ventileurs de paillettes du spectacle médiatique traditionnel, je n’y crois plus. Avant-hier, j’ai refusé de participer à une émission de télévision pour ces raisons, c’est mon plaisir à moi, je me sens plus forte que la reconnaissance (j’y reviendrai).

- le classement c’est l’absence de pensée. La preuve, le classement effectué révèle l’absolue vacuité de ses critères de sélection.

- enfin, il est toujours amusant de remarquer à quel point le classement amplifie spectaculairement les psychopathologies du moi. On commence à voir frétiller tous ceux qui sont minés par l’angoisse de la reconnaissance, profiler leur tête triangulaire en glapissant : « coucou, c’est moi, nominez-moi ».

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Excellemment formulé.

Au diable (ou là où il ne fait pas bon être) avec leurs classements et leurs étiquettes.